American Bluff : Quand Les Masques Tombent.

Fort de son succès au box office et grand favori des prochains Oscars, American Bluff de David O. Russel navigue tranquillement vers la barre du million de spectateurs. Oeuvre à consensus mais pas du tout consensuelle, le film nous éclaire sur nos sociétés postmodernes et notre rapport à l’autre. Décryptage.

 




Huitième film du très éclectique David O.Russel, American Bluff pourrait être celui qui conclut une trilogie sur le thème de l’individu en dehors de la norme. Sportifs abimés par la vie dans The Fighter (2011), couples de dépressifs qui naviguent dans un univers plus fucked-up qu’eux dans Happiness Therapy(2012), le réalisateur s’attaque ici à une galerie de personnages évoluant dans une intrigue ambiance « Watergate ». Irving Rosenfel (Christian Balle qui joue la performance de sa vie) prêteur sur gage et escroc, tombe amoureux de Sydney Prosser. Il s’associe avec elle pour faire fructifier sa petite affaire en arnaquant les gageurs. Mais Rosenfeld est aussi marié à la charmante Rosalyn, mère alcoolique et maniaco-dépressive qui tente d’exister aux yeux de son mari. Récit noir et complexe, American Bluff nous immerge dans cette Amérique des années 70 où les crises politiques et sociales marquaient l’avènement d’une époque faste et dérégulée. Faire le parallèle avec celle d’aujourd’hui, il n’y a qu’un pas…

American Bluff




A travers une histoire d’arnaque politico-financière organisée par le FBI, American Bluff reflète la place de chacun dans la société et la difficile question de l’identité au sein du groupe. Véritable réflexion sur la condition humaine, le film traite en permanence des rapports de force entre des êtres vulnérables avec les autres dans un univers en perpétuel décalage avec leurs aspirations. L’amour, la séduction, le mensonge, la trahison, tous ces thèmes sont ici évoqués de manière brillante et moderne. Un monde où chacun veut être quelqu’un d’autre mais qui est sans cesse rattrapé par la dure réalité. On sent en chacun d’eux l’irrésistible envie de transgression qui est toujours contrariée par la conséquence de leurs actes.



American Bluff





Prototype même du film de genre assumé, American Bluff (American Hustle en VO) emprunte les codes du « film d’arnaque » sans pour autant pasticher ses modèles.  Plus proche d’un Dino Risi que d’un Scorsese, David O.Russel s’amuse a faire évoluer ses acteurs dans des espaces clos, les confrontant à leurs dilemmes moraux, sans pour autant porter un jugement de valeur consensuel. Car O. Russel aime ses acteurs et sait les filmer. Il sait trouver l’emplacement de caméra juste pour les faire co-exister dans son cadre. Cinéaste du verbe, il fait vivre ses personnages à travers des dialogues ciselés, souvent improvisés mais toujours justes dans le ton et le placement. A la manière d’un Cassavette, il crée de véritables moments de tensions verbales mais qui sont toujours désamorcées par des propos décalés ou sur-réalistes. 

American Bluff



Film sur la manipulation et donc sur le cinéma, American Bluff est avant tout un spectacle réjouissant et immersif sur le jeu des apparences et cette scène de théâtre qu’est le groupe social dans  sa globalité. Mais comme le soulignait le sociologue Gilles Lipovesky, après la représentation place aux coulisses, lieux où les masques tombent et où les enjeux cruciaux reprennent leur place dans le cadre de l’intime. C’est cette intimité que le film tente de toucher du doigt. Car tel un miroir déformant de la réalité, American Bluff nous renvoie à nos propres contradictions de spectateurs et nous questionne un peu plus sur notre place dans un monde qui n’est pas toujours fait pour nous.





Clement Lemoine (@ Twitter / @ Tumblr )



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